dimanche 7 février 2010

Rédaction : le livre blanc *

En préambule, il convient de souligner que chacun de nos métiers, dans la chaîne continue de l'information, a évolué au cours des 10 dernières années, parfois contre la volonté de la rédaction elle-même. Les questions que la rédaction se pose aujourd'hui dans le contexte économique et financier qui est le sien, et en tenant compte des discours de la direction du groupe comme de la direction des rédactions : sommes-nous encore journalistes, et quels sont réellement nos métiers ? Du chef d'agence au photographe, en passant par les secrétaires de rédaction, les dérives sont multiples, les pressions et le stress constants. En même temps, n'est-il pas légitime de se poser de nombreuses questions, lorsque l'on sait que directeur des rédactions et directeurs départementaux passent sans doute plus de temps à rencontrer les élus, les présidents de chambres consulaires et autres, afin d'obtenir des ventes de journaux ? Est-ce bien là l'essence de leurs fonctions ?
Une fois posé ce préambule, passons donc en revue les différents corps de métiers de la rédaction et les effectifs, en gardant à l'esprit que le rôle de chacun des maillons interfère sur le maillon suivant... Et vice-versa.

Dans les agences
Les chefs d'agence remplissent les fonctions de « SR de luxe » en passant trois quart de leur temps à relire la copie des correspondants notamment. Si le chef d'agence doit effectivement, rester maître du contenu éditorial de sa locale, ne peut-il pas « déléguer » la relecture au secrétaire de rédaction ? En substance, la réponse devrait être oui. Mais les Desks étant en sous-effectif, chaque SR ne peut légitimement, relire et mettre en page 8 à 10 pages par jour quand il n'est pas relégué au rang de « simple monteur » tenu à se partager entre deux, voire trois agences... Il est de ce fait privé de fait de toute implication éditoriale, pour ne pas dire d'initiatives. Dans ces conditions là, le sacrifice de la relecture tant sur la forme que, plus grave, sur le fond, est une fatalité inacceptable.
Premier effet : le chef d'agence est presque totalement déconnecté de la vie locale, ne joue plus son rôle d'interface entre le terrain et son équipe, sur laquelle il s'appuie tout de même.
Mais comment insuffler une dynamique et une ligne éditoriale à une locale, comment renouveler les idées de sujets, les volontés mêmes, si le chef d'agence est coupé du « réel » ?

Les rédacteurs
Ils sont en surchauffe. La rédaction travaille avec 42 journalistes de moins depuis les clauses de cession. Elle assure chaque jour son rôle malgré la fatigue, le stress, les désorganisations récurrentes. Face à cela, la réponse est en rupture totale avec les engagements initiaux de GHM pour qui, il y a tout juste deux ans « la précarité ne passera pas » par le groupe. Il nous était certifié que l'exploitation des CDD à vie ne serait plus de mise comme elle le fut sous l'ère Lagardère. Aujourd'hui, 34 CDD sont en poste dans l'entreprise: des services entiers ne fonctionnent que grâce à eux et, en retour, les promesses de GHM ne ne pas laisser un CDD sur des postes structurels ne sont pas tenues.
Alors quoi ? Alors il est urgent impératif que la direction tienne ses engagements.

Les rédacteurs sont en surchauffe (bis). Ils font des photos, certains (un par agence) travaille en parallèle pour la cellule web... et ne manque pas de remplir la tâche qui leur a été confiée en ce sens. Cette multiplication de tâches dans le contexte des agences tel qu'actuellement (sous-effectif latent...) porte atteinte au contenu éditorial. Les rédacteurs sont à leur tour moins présents sur le terrain. Exemple dans les agences où les communes sont nombreuses : certains sujets auparavant traités par des professionnels, ne sont plus aujourd'hui traités du tout. Les correspondants on le sait, n'ont pas à « être pris en otage » par une municipalité ou un opposant, l'équipe de professionnels doit garder la maîtrise des sujets dits « polémiques », sujets qui? faute d'effectif, sont traités en retard par rapport au calendrier.
Résultat : nous ne sommes pas en phase avec l'actualité, avec les attentes de nos lecteurs. Cela porte atteinte à notre image, et à nos équipes sur le terrain.

Les rédacteurs et la précarité
Il y a toujours plus précaire que soi, mais il y a des limites qui sont infranchissables. Et des réponses urgentes à apporter à ces pigistes de l'entreprise utilisés comme des salariés embauchés. Comme pour les CDD, ils permettent à certaines agences de tourner. La direction connaît leur nom. Nous aussi, et il est intolérable qu'après avoir utilisé, exploité ces jeunes gens – prêts à faire et bien faire des papiers, des photos et de la mise en page -, la direction puisse du jour au lendemain les remercier ou, pire encore, estimer qu'ils coûtent trop cher et réduire leurs interventions à dix jours par mois.
Alors il y a toujours pire. Plus pire, comme le disait Coluche. Lors du dernier congrès national du SNJ à Strasbourg, certains confrères ont évoqué les contrats de partenariats passés entre leur journal et des écoles de journalisme, en vue, non pas d'accueillir des stagiaires d'école un mois ou deux par an, mais de procéder, sous couvert de formation, à des remplacements de professionnels.
Pour le moment, le pire est ailleurs. Qu'il y reste.

Le service photo
Il n'était pas prévu, lors du rachat du groupe Nice-Matin par le groupe Hersant et les nombreux départs en clause de cession qui ont suivi, il n'était pas prévu que 5 photographes quittent leur service pour rejoindre la cellule internet (4) et le service infographie (1). Ces photographes doivent IMPERATIVEMENT être remplacés, comme s'était engagé à le faire la direction des rédactions alors. C'est tout simplement maintenir une qualité de service en terme de proximité, mais aussi une garantie minimale pour assurer locale, départementale, faits divers et sports.
Il est inadmissible par exemple, que le photographe qui couvre le match de rugby du RCT en déplacement le samedi et rentre en milieu de nuit, soit le seul photographe que l'on puisse appeler pour un reportage à plus de 40 km de son agence de rattachement le lendemain. C'est pourtant une situation régulière dans le Var. Soit il s'agit d'une très mauvaise gestion des tableaux des photographes, soit c'est inadmissible.
Par ailleurs, en matière de photos, il n'y a pas à notre sens de « petite locale » et du reportage. Il y a des sujets de locale qui doivent régulièrement faire l'objet de sujets de Une, et on se rend bien compte que sans photographes professionnels en agence, on ne peut pas produire de sujets de locale pouvant donner lieu à une photo de une. Alors que le discours officiel est « priorité aux locales et aux informations de proximité », cette même proximité ne se retrouve pas en images à la une. Nouvelle atteinte à l'image de nos titres, à notre crédit.
Petit rappel sur l'accord photo à ceux qui accusent les rédacteurs de ne pas l'appliquer: on n'a jamais vu un simple soldat donner des ordres à un général comme on n'a jamais vu un rédacteur faire son propre tableau de service. A quelques exceptions près, (presque) toute justifiées, aucun rédacteur – dès lors qu'il a signé cet accord – n'a refusé de faire une photo qu'on lui demandait de faire pour illustrer son propre papier. Les exceptions, rares, étaient légitimes : une charte est jointe à cet accord et stipule qu'une photo toutes éditions (reportage ou IG) ou de une ne doit être réalisée que par un photographe professionnel. Si l'accord n'est pas appliqué c'est que personne ne s'est soucié de le faire appliquer. Sans doute parce que, par endroit il était inapplicable puisque dévoyé d'entrée – à Grasse qui n'a plus aucun photographe professionnel rattaché, comme à Menton qui n'en a plus qu'un demi.
Alors certes cet accord était imparfait, un « pis aller » que le SNJ et la CGT n'ont signé que pour éviter le pire : à savoir que la direction fasse de la polyaptitude une règle pour ceux – les 2/3 de la rédaction – qui ont signé un contrat de travail de polyaptitude. Preuve qu'il n'était pas si inopportun que ça, la direction aujourd'hui agite la dénonciation de l'accord des rédacteurs photos... dans l'espoir de revenir à la seule contrainte du contrat de travail, à savoir tous les rédacteurs peuvent être amenés à faire toutes les photos et ceux, sans rétribution aucune. Quatre-cents euros par an c'était insuffisant sans doute.
Mais zéro euro pour faire toutes les photos et envoyer ainsi au chômage ou en reconversion les 2/3 des photographes professionnels de l'entreprise, c'est effrayant. Et surtout intolérable.

Le Desk
La question à poser compte tenu des effectifs du Desk est simple : quel est le nombre maximal de pages qu'un « SR » peut monter en respectant les horaires et en réalisant un véritable travail journalistique sur la page ?

Dans le Var, il convient de noter les disparités entre les gens du Desk en terme d'indice, de paiements d'heures de nuit, etc.
Il est inadmissible qu'un CDD à l'indice 95 mette une page en BAT. Uniers et SR de var-infos sont régulièrement des postes occupés par des CDD. Il convient de régulariser les indices en conséquence, tout comme il est nécessaire de rattraper progressivement les écarts entre la grille CDD et la grille CDI.
Par ailleurs, les effectifs du Desk Var doivent être stabilisés par les titularisations des CDD en poste. Ces disparités participent au mal-être d'un service qui, malgré tout, fonctionne, mais empêche les SR de prendre confiance dans leur rôle.
Enfin, le Desk Var mérite d'être rassuré sur son avenir face aux rumeurs de « rapatriement » vers les A-M ou autre « dislocation ». Le SNJ avait demandé à la direction de la rédaction de s'exprimer auprès des SR en ce sens. Cela n'a pas été fait. Doit-on craindre que l'une de ces rumeurs se vérifient ? Et si la « dislocation » était retenue pour un retour en agence, quelle garantie sur l'effectif ?
Il serait en effet illusoire de croire que les agences pourraient assurer les remplacements du SR lorsque celui-ci sera en repos hebdo ou en congés.

Dans les Alpes-Maritimes, quand sera pris en compte le constat unanime voté, jeudi dernier, par l'ensemble des chefs d'agences et les secrétaires de rédaction? Réunis par la direction des rédactions, suite au mouvement de colère du Desk des AM de la semaine précédente, les uns et les autres ont conclu à l'échec du Desk et réclamé « pour le bien de l'info » la réintégration des SR au sein des équipes rédactionnelles dans les agences.
De nombreux problèmes « techniques » ont surgit depuis la création des nouvelles formes dans millénium, il y a deux mois (bloc standard sans sous-titre, alors que la nouvelle formule le prévoit par exemple ; feuilles de styles vérolées dans la bibliothèque, formes par défaut très mal groupées, raccourcis clavier pour appliquer les styles disparus, écart entre le lignage « Editor » et le lignage « Millenium ».
Il aura fallu le mouvement de mécontentement des SR du Desk du lundi 12 octobre pour que la direction de la rédaction comprenne que ces nouveaux problèmes devaient absolument être résolus, car sources supplémentaires de mauvaises conditions de travail. Ils sont actuellement en cours de traitement.

Perspectives de carrière et gestion de l'humain
La carrière d'un journaliste a Nice-Matin, comme dans toute la PQR évolue en fonction d'une grille indiciaire nationale. C'est la grille PQR. Chaque indice y correspond à une fonction. Force est de constater aujourd'hui que cette grille n'est pas appliquée: chef d'agence ou adjoints qui ont des indices de stagiaires. Uniers qui n'ont même pas l'indice d'un SR débutant. Journalistes confirmés qui plafonnent à l'indice de base de la profession savoir 120 ou 130 après vingt ans de carrière, etc. Il est « urgentissime » de mettre à plat cette situation.
La situation salariale des « ex-CDD » qui ont été titularisés est également une pierre d'achoppement. Certains d'entre eux n'ont pas bénéficié du rattrapage du salaire maison (PQR + 30%) auquel il pouvait prétendre dés leur passage à l'indice 107.

Ligne rédactionnelle et éditoriale
Il est certes coutumier que la rédaction « se plaigne » de ses conditions de travail, toujours plus malmenées... Mais c'est sans doute la première fois que la rédaction dans son ensemble, s'interroge autant sur la ligne éditoriale et rédactionnelle.
Aussi reposons-nous ici la question fondamentale : sommes nous encore des journalistes au sens noble du terme ? Dans le Var plus particulièrement, de nombreux « épisodes » rédactionnels (le dernier en date étant le drame frôlé à La Ciotat, ou encore « Fréjus au bord de l'explosion » alors que les émeutes, bien traitées par la rédaction, ont pris fin depuis 48 heures) laissent à penser que l'on ne se pose plus de questions sur la valeur d'une information. A survendre, on déçoit, irrite, arnaque le lecteur à qui « on ne la fait plus ». Quand par exemple, des milliardaires russes rachètent un domaine dans un petit village des Alpes-de-Haute-Provence, pourquoi titre-t-on à la Une « Les Russes rachètent Entrevaux »? Où aucun milliardaire moscovite n'a jamais mis les pieds. A Entrevaux, Nice-Matin a perdu une grande part de sa crédibilité : le titre outrancier avait mis le village en émoi jusqu'à ce que nos lecteurs se soient rendus compte qu'il était dénué de toute fondement ! Alors, on pourra toujours nous dire qu'Entrevaux ce n'est qu'une cinquantaine de lecteurs par jour... mais la presse régionale est-elle en si bonne santé qu'elle prendre le risque de perdre ne serait-ce qu'un lecteur ?
Quand on réalise une enquête sur la sécurité dans les trains, pourquoi titre on « Train de nuit : les voyageurs ont peur » alors qu'à la tourne aucune témoignage, aucune info ne vient confirmer cette psychose ?
Les équipes dirigeantes ne mettent plus en perspective les faits, ne prennent pas le recul nécessaire sur l'information. Résultat : on fait du « racolage » à la une, et on donne des informations incomplètes (on trouve souvent, régulièrement, la suite du sujet dans l'édition du lendemain. Ce fut le cas pour le TER à La Ciotat, mais aussi le prothésiste dentaire dans le Var. Est-ce bien normal ?)
Mais le plus grave, et sans grossir le trait, est que l'on place un accident de TER sans victimes, sur la même échelle de valeur, (car le même traitement dans le journal) que le tremblement de terre en Italie, qui a fait des centaines de morts.
Dans le même temps, l'info de proximité - celle qui ne nous permettra, certes pas de décrocher le Pulitzer, mais celle qui fait vivre l'entreprise – est sacrifiée dans nos éditions du dimanche, comme elle le fut cet été avec le journal de l'été. Et lorsque les rédacteurs sans ou avec grade font remonter la « grogne » de nos lecteurs ou des diffuseurs, non pas par désir de « rupture pour la rupture », mais parce que l'avenir de l'entreprise leur importe, la seule réponse qui leur est faite ressemble à « proposez toujours, nous on dispose comme on l'entend ».
Vous remarquerez que nous ne parlons pas là des « liens » de nos titres avec les élus UMP. En ce point, nous avons bien compris être subordonnés aux représentants de l'UMP. Se pose néanmoins une question fondamentale : que se passera-t-'il si l'un de ses élus « se manque » en terme politico-judiciaire ou autre ? Quel traitement aura-t-on le droit de donner à l'information, si tant est que l'on est le droit de traiter ?
Nous ne parlons pas non plus des moyens matériels donnés (ou plutôt retirés) à la rédaction. A titre d'exemple : le service sports Var ne dispose plus de l'abonnement à la chaîne Rugby +... Pratique non lorsque l'on demande à un rédacteur de faire un « télévu... » ?

A la lecture de ce document, le SNJ attend, sinon réclame, une véritable prise en compte des conditions de travail, du mal-être, symptomatiques d'une rédaction qui a perdu tous ses repères. Mais qui continue à œuvrer pour ses titres, parce qu'on ne choisit pas le métier de journaliste par hasard. Le SNJ entend simplement faire respecter les règles fondamentales qui régissent nos métiers, du photographe au secrétaire de rédaction en passant par reporters, chefs d'agence mais aussi directeurs départementaux, rédacteur en chef et directeur de la rédaction.
En substance : que l'on nous dise, exactement, ce que l'on attend de nous. Tant dans l'évolution de nos métiers que dans la ligne rédactionnelle à adopter. Et que le discours soit, pour une fois, en phase avec les actes et/ou les choix de nos dirigeants.

* Ce document a été remis à la direction le mercredi 4 octobre 2009, lors d'une réunion syndicale

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